En tant que Maman et orthophoniste, j’ai la chance d’être formée et informée sur les bénéfices et les risques associés à l’utilisation d’une tétine pour son enfant. Je ne peux donc pas commencer cet article sans partager l’évolution de mon point de vue sur la question, qui est assez facile à résumer. Avant, j’avais des principes ; maintenant je suis Maman. Et oui, car entre mon idéal dans un monde tout beau tout parfait et la réalité de la parentalité se niche un écart vertigineux et difficilement réconciliable. Alors avant de partager ma propre opinion et mon expérience, il est (sans doute) utile de partager un peu de faits scientifiques. Fait scientifique numéro un : certains nourrissons ont un besoin intense de succion. Et en parlant de besoin, je devrais plutôt parler de réflexe. La succion fait partie des réflexes archaïques, au même titre que le fouissement, la déglutition, et l’agrippement. Il faut distinguer la succion dite nutritive (alimentaire) où l’enfant s’alimente au sein ou au biberon avec de longues salves sans lâcher le sein ou le biberon avec une déglutition à chaque succion, de la succion non nutritive (doigts, sein, tétine, doudou ou autre moyen de compensation) où l’enfant fait du tétouillage sans boire. Dans ce second cas, les mouvements de succion sont plus rapides, sans amplitude, en salves brèves séparées par de longues pauses. L'enfant déglutit alors rarement et en dehors de toute sensation de faim. Lors de la succion non nutritive, le bébé sécrète des endorphines, améliorant bien être, sommeil et apaisement. Et là tous les bébés sont différents : certains n’auront que peu besoin de tétouiller tandis que d’autres, parfois dans des contextes de reflux, coliques, ou autres difficultés médicales, auront beaucoup besoin de la succion non nutritive pour se calmer. Fait scientifique numéro deux : il existe des données discordantes (donc non concluantes) en ce qui concerne le risque de confusion sein/tétine chez les bébés allaités et son impact sur la longueur de l'allaitement. Deux études publiées en 2006 (à retrouver ici et ici) ont observé qu’une exposition précoce à une tétine conduit à l’arrêt de l’allaitement exclusif entre l’âge de 3 et six mois et à l’arrêt complet de l’allaitement à un an. Mais d’autres études plus récentes n’ont montré aucune différence significative entre les durées d’allaitement des enfants avec et sans tétine (à lire ici et ici). Et les auteurs précisent qu’au vue de ces résultats, les parents ne devraient pas être ni encouragés ni découragés à utiliser une tétine, mais faire leur choix en fonction de leurs préférences personnelles. Fait scientifique numéro trois : l’utilisation d’une tétine réduit le risque de mort subite du nourrisson dans certains cas (voir cette étude ici). Sachant que d’autres facteurs sont préconisés pour réduire ce risque, comme de coucher son enfant sur le dos et de ne pas trop le couvrir. Fait scientifique numéro quatre : l’utilisation prolongée d’une tétine au-delà de l’âge de deux ans augmente le risque de déformation de l’articulé dentaire, pouvant conduire à des problèmes d’articulation, d’occlusion et autres conséquences oro-myo-fonctionnelles. Certains travaux mentionnent aussi que dans certains cas, l’utilisation d’une tétine après l’âge de quatre mois peut augmenter le risque d’otite et de candidose. Cela veut donc dire qu’il n’y a pas de contrindications à l'utilisation d'une tétine pour les nouveaux-nés mais que le problème se situe plus tard ou au moment du sevrage. Ce qui m’amène à mon dernier point : mon expérience de maman orthophoniste avec deux enfants accros à leur tototte pour s'en débarrasser une bonne fois pour toutes. Ah là là, en 2016, pendant ma première grossesse, en observant les injonctions parentales et les discours clivés qui existent entre les pro et les anti-tétines, j’avais idéalement fait mon choix. J’étais profondément anti-tétine. J’avais lu que cela aller ruiner mon allaitement, en induisant une confusion avec le sein, que mon enfant aurait des difficultés de prononciation, que mon allaitement en serait raccourci, bref que c’était la fin de monde –littéralement- que de proposer une tototte à mon bébé. Quand mon grand est né, j’étais donc fondamentalement anti-tétine. Plus qu’un idéal ou un principe, c’était un dogme. J’avais lu, j’avais (soi-disant) tout compris, je connaissais beaucoup de choses, donc je pensais que je prenais les meilleures décisions (même dogmatiques) pour mon enfant à naître. Et puis, mon grand est né, un poil plus tôt, avec un frein restrictif de lèvre, une succion peu mature, des coliques, et j’ai commencé avec conviction sans tétine aucune. L’allaitement a été un enfer (crevasses, engorgements, réflexe d’éjection fort, difficulté de prise du sein… j’ai tout vécu ou presque). Si l’on ajoute à cela un bébé qui tétait toutes les demies-heures, qui ne cumulait que quatre à cinq heures de sommeil par vingt-quatre heures (et par petites tranches de vingt minutes sinon ce n’est pas drôle), et qui hurlait à la mort le reste du temps, ma pauvre santé physique et mentale s’est retrouvée sérieusement menacée. Je défie quiconque en douterait d’essayer de ne pas dormir pendant six semaines pendant plus de vingt minutes à la fois et de côtoyer un bébé hurlant vingt heures sur vingt-quatre, et l’on en reparle. Bref, au bout d’un bon mois, mes dogmes de maman se sont retrouvés démolis. Et lorsque j’ai proposé à contrecoeur une tétine, il n’en a pas voulu. J’étais au bout du bout de ma vie. Il a donc fallu l’habituer progressivement à cette tétine, ça qui a été très laborieux mais qui a (un peu) amélioré le sommeil (et surtout a fait cesser les hurlements constants). Quelques années plus tard, pour ma seconde, je ne suis pas passée par quatre chemins. Puisque ça m’avait sauvée en apaisant mon grand, je n’ai pas hésité à lui proposer aussi une tétine (que j’avais déjà dans la valise de maternité) et ça n’a eu aucune conséquence sur le démarrage de mon allaitement (elle tétait comme une championne toutes les trois heures) et elle a dormi plutôt mieux. Bref, à ce moment-là, j’étais officiellement devenue pro-tétine. Comme quoi seuls les imbéciles ne changent jamais d'avis et surtout, comme quoi l'on est jamais totalement préparé à la réalité d'être parent. Alors au final, comment se débarrasser d’une tétine encombrante lorsque notre enfant grandi ? Comment arriver à éliminer cet objet qui est aussi addictif que de la cocaïne? Comment dépasser cette addiction si l’enfant ne s’en détourne pas seul ? Je vais détailler ce qui a marché pour nous, sachant que chaque enfant est différent et que ce qui fonctionne chez l’un ne fonctionnera pas nécessairement chez l’autre. A mon sens, certains pré-requis sont nécessaires. Idéalement, il faut déjà être vraiment motivé. Si c'est un processus anxiogène, que le contexte ne s'y prête pas, mieux vaux retarder ce sevrage. En outre, il faut commencer à éliminer auparavant toute autre succion (biberon, verre à bec) en les remplaçants par des verres traditionnels ou des contenants avec paille. Une fois que seule la tétine reste à disposition, il faut limiter son usage aux moments d’endormissement (sieste ou nuit) sans qu’elle ne soit accessible en journée. Et puis, il faut privilégier le remplacement de la tétine par un autre objet rassurant (doudou, anneau de dentition…). Pour Amaury, à l'âge d'un peu plus de deux ans, j’ai acheté un machouyou à mastiquer pour remplacer la tétine. La tétine a disparu définitivement et je lui ai présenté ce masticateur comme une « tototte de grand ». Il a chouiné un peu (beaucoup) au moment des siestes et des couchers du soirs, mais en une semaine (en réussissant à ne pas craquer) c’était réglé. Pour Joséphine, ça a été nettement plus compliqué. Déjà l’urgence se faisait sentir car outre ses difficultés (mineures) d’articulation, une béance dentaire commençait à apparaître depuis l'été (presque à deux ans) et il ne fallait pas trop tarder à agir. Son addiction à la tétine était assez prégnante, conduisant à des colères terribles si on la lui ôtait. Mais son besoin de mastication lors des poussées dentaires a progressivement pris le dessus. Puisque sa tétine s’est retrouvée trouée à divers endroits suite à ses mâchouillages, j’ai progressivement coupé avec des ciseaux les petits morceaux flottants pouvant être ingérés, et j’ai entrepris un processus progressif de rétrécissement de la tétine, jusqu’à n’en faire qu’un objet inutile pour la succion. La pauvre tototte s’est donc retrouvée scalpée avec une coupe de plus en plus courte, le tout sur quelques jours et en galérant franchement au moment des siestes et du coucher. Au final, après une bonne semaine sans succion, l’enfant s’en désintéresse et l’on peut jeter les pauvres reliquats de tétine à la poubelle sans que cela déclenche un drame. Nous sommes maintenant finalement une maison sans tétine, et je dois avouer que je n’étais pas sûre de pouvoir parier sur la question. Bref, je suis soulagée de deux choses. La première, bien sûr, c’est d’avoir réussi à dépasser mes dogmes pour véritablement choisir ce qu’il y a de mieux pour ma propre situation et pour mes enfants. Après tout, cette histoire d’endorphines et de succion non-nutritive m’a beaucoup aidée à voir la tétine comme un outil favorable au bien être de mes rejetons, et pas forcément un objet du diable sujet de toutes les discussions. Et puis la seconde, c’est de réussir véritablement à se séparer de la tétine, sans gros drame, sans traumatisme, et avant que mes enfants n’aient treize ou quatorze ans. Du coup, je souhaite bien du courage aux autres parents, et ce bien évidemment quels que soient leurs choix. Un jour, dans tous les cas, nos enfants partiront faire leur vie ailleurs et je doute fortement que la tétine ne fasse toujours partie de leur routine quotidienne…