La valve phonatoire Passy-Muir, utilisée pour les patients trachéotomisés (à droite). Le kit d'aspiration endotrachéale, à utiliser avant de poser la valve phonatoire (à gauche). |
Il se pensait à l'abri du covid-19 Monsieur B. Lui qui ne fume pas, boit très peu, et n'a pas de maladie grave que l'on considère comme facteur de risque aggravant de cette pandémie. Non, Monsieur B. n'a pas de diabète, il n'est pas obèse, et même, il a couru un semi marathon à l'automne dernier. Non, vraiment, Monsieur B. n'a pas peur du covid. A 45 ans (presque 46), il ne rentre pas dans la catégorie des personnes qui doivent s'inquiéter. Et pourtant, il l'a attrapé, ce maudit virus. Au départ, une banale petite fièvre, une toux, trois fois rien. Une perte de goût et d'odorat, bon, ce n'est pas si grave. Et puis finalement, au bout de dix jours, des difficultés à respirer qui lui paraissent très bizarres. Aux urgences, on ne veut pas l'hospitaliser, et on le renvoit chez lui. Mais dans la nuit, il peine à reprendre son souffle dans son lit, alors il y retourne, aux urgences, dans cette salle d'attente où l'on attend des heures. Et puis oui, finalement, Monsieur B. a besoin d'oxygène, alors il est admis. Hospitalisé, lui, le coureur de semi-marathons. Mais rien de si grave, un peu d'oxygène par canule nasale, pas de quoi fouetter un chat. Et puis ce maudit virus dégénère en véritable pneumonie. Et là, l'équipe médicale s'affole. On descend Monsieur B. en réanimation. Là où probablement les soignants sont les plus à mêmes de s'occuper de son cas. Et puis, l'oxygène par voie nasale ne suffit plus. Alors le médecin prend la décision d'intuber Monsieur B. Sauf que pour être intubé avec ce gros tube qui est enfoncé très loin dans la gorge, et être branché sous respirateur, il faut dormir car c'est horriblement inconfortable. Alors Monsieur B. est placé en coma artificiel pendant quelques jours. La ventilation mécanique assistée aide ses poumons à respirer car ils ne sont pas capables d'oxygéner le corps seuls. Et les journées se succèdent, Monsieur B. est inconscient, le respirateur le maintient en vie. Et puis, un jour, l'extubation. Mais Monsieur B. n'est toujours pas capable de respirer seul, la tentative de sevrage du respirateur échoue. Alors, afin d'éviter le coma artificiel, les médecins pratiquent une trachéotomie. Une canule est insérée directement dans sa trachée par une incision au devant de sa gorge. Pas si grave, en soi, c'est juste un tube et un petit trou. Mais Monsieur B., finalement réveillé du coma, ne peut plus parler. L'air ne passe plus par sa bouche et son nez mais vient directement dans ses poumons. Et puis, comme les jours passent, et que Monsieur B. n'a pas mangé depuis longtemps et que les perfusions seules lui apportent la nutrition et l'hydratation nécessaire, les médecins lui posent un tube de gastrostomie. Pas de quoi fouetter un chat, juste un petit tube inséré chirurgicalement dans son estomac pour le nourrir par sonde gastrique. Mais un tube quand même, qui le nourrit 24h sur 24. Monsieur B. a de la chance, il a échappé à la sonde nasogastrique qui peut être très gênante, dans son nez. Et puis les jours passent. Du respirateur, Monsieur B. passe de nouveau à l'oxygène simple, via sa trachéotomie. Et c'est là que j'interviens. Monsieur B., il ne peut pas parler. Il articule des mots mais sans voix, difficile de le comprendre. Alors le médecin me demande de lui poser une valve phonatoire, histoire qu'il retrouve un passage d'air par le larynx, le nez et la bouche. Histoire qu'il puisse communiquer, se faire comprendre, dire quand il a mal, quand il en a marre, quand il est triste, et quand il a besoin de quelque chose. Alors Monsieur B. me remercie. 6 semaines sans parler, c'est dur. 6 semaines sans manger, c'est également très dur. Mais Monsieur B. a toujours sa trachéotomie, et il va lui falloir se passer de l'oxygène à haute dose pour qu'on puisse le décanuler. Il lui faudra encore deux semaines, avant de tolérer la canule nasale. Pendant cette période, il a soif, Monsieur B. Mais il ne peut pas encore boire ou manger. A jeun, régime sec forcé. 87% des patients trachéotomisés ont un risque de fausse route silencieuse, alors encore une fois, Monsieur B. compte sur moi. Il faudra encore 5 jours pour planifier une vidéofluoroscopie de déglutition. C'est long, mais pendant ce temps, je l'aide à renforcer les muscles impliqués dans la déglutition. Histoire de limiter l'atrophie et d'augmenter les chances d'une reprise alimentaire rapide. Il en a vraiment marre, Monsieur B. C'est long, c'est dur, et il ne peut même plus marcher après toutes ces semaines alité. Le jour de la vidéofluoroscopie de déglutition, l'examen se passe plutôt bien, mais pas parfaitement. Monsieur B. peine à boire des liquides fluides, qui dégringolent dans ses poumons au lieu d'aller directement dans son estomac. Alors il devra boire des liquides épaissis, Monsieur B. Pas de quoi fouetter un chat, mais il en a trop marre Monsieur B. Le covid lui a gâché tous les aspects de sa vie, jusqu'à lui prendre son autonomie. Et il lui faudra encore plusieurs semaines à Monsieur B., pour être capable de boire et manger normalement. Pour la marche, il a encore un long chemin à parcourir, Monsieur B. Ses jambes recommencent seulement à le porter. Alors pour le prochain semi marathon, il va devoir attendre. D'ici là, il rentre finalement chez lui. Après trois mois d'hospitalisation. A cause d'un satané petit virus, qu'il pensait moins dangereux qu'une vilaine grippe saisonnière. Il s'est trompé, Monsieur B. Il s'est tellement trompé qu'il est passé près de la mort, et qu'il rentre chez lui aujourd'hui pour le premier jour du reste de sa vie. Car il veut vivre, Monsieur B. Et si son histoire vous a touchés, sachez qu'elle est totalement vraie. Je n'en ai rien inventé. Je vois des Monsieur B. tous les jours. Certains sont plus jeunes, d'autres plus âgés. Beaucoup ont des pathologies aggravantes, mais pas tous. Alors soyez prudents, et continuez à faire attention à ce maudit virus. Et dans tous les cas, ne me dites pas que ça n'arrive qu'aux autres. Et ne dites surtout pas qu'on ne vous avait pas prévenus...
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