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vendredi 27 septembre 2019

Chronique de gériatrie

La transition s'est faite facilement. Comme un poisson dans l'eau, j'arpente désormais les couloirs de l'hôpital, d'un service à l'autre, pour me rendre au chevet de mes patients. Il y a eu ceux qui ont été touchés par un AVC, qui réapprennent doucement à manger et à parler. Il a a eu ceux pour qui mon travail s'est fait auprès des équipes médicales ou de la famille, pour accompagner une fin de vie. Il a a eu ces premières bouchées, ces premières gorgées en reprise alimentaire, qui ont changé une hospitalisation. Il y a eu ce patient, fraichement débarqué d'une chirurgie maxillaire lourde dans le cadre d'un cancer, qui a pu remanger progressivement des textures moins mixées, et qui me dit chaque jour que j'ai changé sa vie. Il y a eu ces sourires, ces mains serrées, et ces séances de rééducation efficaces. Il y a eu aussi celles qui n'étaient pas au bon moment, prévues sur un temps de repos du patient, presque comme un cheveu sur la soupe, mais qui ont pourtant porté leurs fruits. Il y a eu les bonnes journées (presque toutes les journées), et puis les moins bonnes. Hier était une journée très particulière, celle où j'ai perdu un patient. Mon premier patient depuis mon dernier poste en neurologie. En tant que soignant, et à fortiori en gériatrie, on connait parfaitement les tenants et les aboutissants du métier. On connait les risques et les désillusions de travailler avec une population médicalement fragile. On sait pertinemment que nos malades sont plus près de la fin de leur vie que du début. On se protège, on se prépare, on évite d'y penser autant que possible. Mais lorsqu'un décès survient, de façon plus ou moins prévisible, il est impossible d'être complètement détaché. Les soignants ne sont pas des robots. Nos émotions font partie intégrante de notre profession. On peut être pragmatique. On peut être fataliste. Mais on ne peut pas faire semblant de ne pas être atteint. J'ai perdu ce patient cette semaine, ce monsieur qui m'a souri de toutes ses dents lors de ma dernière visite. Ce monsieur qui avait traversé près d'un siècle et deux guerres mondiales, et connu la vie avant l'électricité et la modernité. J'ai perdu ce patient et cela m'a émue. J'ai perdu ce patient mais j'ai participé à sa toute fin de vie. J'ai perdu ce patient et je vais sans doute en perdre d'autres, mais je me souviendrai toujours de cette expérience bouleversante, ce type d'expérience à double tranchant qui peut faire vaciller et grandir en même temps. J'adore mon métier, pour les bons et les mauvais jours, et je n'en changerais pour rien au monde...

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